Détresse dans le milieu communautaire | Des intervenants au bout du rouleau

Crédit photo : Alex Drouin - Monvicto.com

On ne peut pas dire que le milieu communautaire traverse une crise. Non. Pas à ce point. Par contre, il ne va vraiment pas bien.

« Il n’y a pas un matin où je ne me lève pas en me demandant comment je vais faire pour combler tous les services », dit sans détour la directrice générale de la Volte-Face qui vient en aide aux femmes victimes de violence conjugale, Julie Croteau. 

« On répond à ce qu’on doit répondre, sans plus », renchérit la coordonnatrice de la Maison des jeunes le trait d’union, Nancy Ouellet.

La directrice générale de l’Association Le Pas qui oeuvre dans le milieu de la santé mentale, Nathalie Tremblay, se demande « s’ils seront capables de maintenir le rythme encore longtemps ». 

Des dix présidents et directeurs généraux interrogés provenant de différents milieux tels que ceux des personnes handicapées, la banque alimentaire ou de l’itinérance, tous confirment que la demande d’aide a énormément augmenté depuis environ deux ans.

Pour certains, cette demande a doublé, voire triplé. 

« Oui c’est inquiétant, car les besoins ne cessent d’augmenter », répond le directeur général du Regroupement d’organismes de personnes handicapées du Centre-du-Québec, Patrick Paulin, lorsque monvicto.com lui a demandé si la situation était inquiétante. 

« Si le milieu communautaire n’est plus là pour serrer le filet social, on va avoir un problème tantôt », lance sans hésiter la directrice de l’Association des locataires du Centre-du-Québec, Evelyne Heeremans.

« C’est certain qu’il va manquer d’argent dans le futur et les impacts seront les ruptures de services », ajoute-t-elle. 

L’argent du gouvernement n’est pas au rendez-vous

À quelques reprises lors des entrevues, certains ont déploré être les laissés-pour-compte lorsque c’est le temps d’obtenir de l’argent des élus municipaux, provinciaux et fédéraux. 

« Dernièrement, le gouvernement a beaucoup parlé de la santé mentale, mais le financement n’a pas suivi, pointe du doigt Mme Tremblay. Il y a une inéquation entre la demande et les ressources financières [qu’on a reçu] ».

« L’indexation a été nettement insuffisante », ajoute Mme Ouellet.

M. Paulin, lui, se pose des questions sur certaines décisions qui ont été récemment prises. 

« On a des organismes qui accompagnent des personnes handicapées pour le maintien et l’intégration au travail et ils ont récemment subi des coupures de financement. C’est incompréhensible compte tenu de la pénurie de main-d’oeuvre au Québec. Ces personnes ne demandent qu’un petit coup de pouce pour aller travailler et contribuer à leur société », se désole M. Paulin.

Notons qu’environ 70 % à 80 % du budget de ces organismes proviennent d’aide gouvernemental.

D’ailleurs, certains des directeurs se demandent si le gouvernement connaît réellement la réalité du monde communautaire.

« Il semble y avoir encore une image cristallisée de l’époque de la part du gouvernement dans laquelle ce sont seulement des bénévoles qui travaillent dans ce milieu, ce qui n’est vraiment pas le cas », reproche Mme Tremblay.

Sans gouvernement, certains s’en tirent bien

Les organismes qui dépendant principalement des dons du public semblent se porter plutôt bien, eux.

C’est le cas de la Sécurité alimentaire, dont Michel Patry est le directeur. 

« Notre campagne de financement va très bien et la Grande guignolée a atteint un record cette année, souligne M. Patry. La générosité de la population est très bonne dans la région. » 

Le président du conseil d’administration de la Fondation des amis d’Elliot, Jérôme Tardif, a lui aussi fait savoir que l’aspect financier allait bien en raison de la générosité du public, mais aussi parce que le personnel de la fondation était bénévole.

Comment peuvent-ils rivaliser ?

Non seulement il est difficile de bien répondre aux besoins grandissants, mais le monde communautaire peine également à conserver ses employés. 

La directrice générale de la Maison des familles, Line Verville, a indiqué que depuis décembre dernier, 80 % de son personnel avait plus ou moins un an d’ancienneté.

Pourquoi est-ce si difficile de conserver dans leurs rangs ces personnes si dévouées ?

D’une part, le milieu communautaire ne peut rivaliser avec les entreprises privées quant à la question du salaire qu’elles offrent.

D’autre part, il y a l’épuisement mental causé par cette éternelle spirale du manque de ressources financières de plusieurs organismes, dont dépendent les utilisateurs, qui affectent le moral des intervenants.

« Il va arriver qu’une personne quitte l’unité de débordement d’urgence, mais on sait qu’elle risque de revenir,  car faute d’habitation elle va solliciter à nouveau notre aide », relate le coordonnateur clinique de l’organisme, l’Ensoleilvent, François Gosselin.

« [Ce cycle] joue sur le moral de nos intervenants », ajoute-t-il.

Cet épuisement mental est aussi répandu au sein des autres organismes. 

« L’équipe a la langue à terre et c’est la première fois que je suis inquiète pour celle-ci », illustre celle qui travaille dans le milieu communautaire depuis environ 20 ans, Mme Tremblay.

Cacher cette misère

Les présidents et directeurs généraux rencontrés souhaiteraient tous que l’on parle davantage de leur cause dans l’espace public.

Or, ils savent que c’est impossible. Ou presque.

« Qui a envie de dire publiquement qu’il est pauvre ou qu’il souffre de maladie mentale ? », soulève Mme Tremblay qui comprend qu’il faut montrer la réalité telle qu’elle est pour attirer la sympathie du public.

Par contre, peu veulent réellement voir la misère comme elle est vraiment…